lundi 23 janvier 2012

17. Le Dieu de résurrection

Q. Allons au fond des choses. Vous avez dit un jour que le monde se cache derrière un masque, visible par tous ceux qui veulent l'observer. Mais que si personne n'observe, le masque disparaît, et pourtant il est inutile de chercher ce qui se cachait derrière. Vous le dites ailleurs d'une autre façon, en parlant d'un tréfonds insondable. En somme, avec mes mots à moi, le réel natif ressemblerait à une eau pure sortant d'un puits mystérieux, dont vous refusez d'imaginer le fond autrement que par la qualité de l'eau. Je comprends qu'il y a déjà fort à faire pour imaginer cette pureté, quand nous buvons le plus souvent une eau corrompue. Mais pourtant, combien de discours savants ont été faits sur le Dieu caché, sur le tréfonds du puits ! Même si c'est pour dire que vous ne voulez rien dire de Dieu, vous devez vous positionner.

JNCJe me suis déjà positionné en ce sens que je m'intéresse seulement au Dieu des chrétiens, parce qu'il présente cette vertu essentielle d'être un Dieu composite, unissant, mais en les distinguant, le tréfonds, et l'eau pure. La source et son expression.

Q. Cela fait deux. Mais le Dieu des chrétiens unit trois personnes, le Père le Fils et le Saint Esprit.

JNC. Je refuse ces comptes savants. Je ne veux pas considérer le monde et l'humanité de l'extérieur, et depuis ce point de vue olympien, discuter doctement des qualités d'un confrère divin, qui aurait ce même privilège.
  Cependant j'accepte de considérer le Fils, parce qu'il est notre grand frère en humanité. Dans nos émotions, natives, contingentes et partielles, nous nous sentons assoiffés, désireux d'un sujet natif éternel et parfait, source qui unirait aussi bien nos émotions que ceux qui les éprouvent. Il est raisonnable d'imaginer que ce désir secret ne puisse être exaucé que par le suc natif d'un sujet-né mortel, au lieu de l'être par une sorte de synthèse désincarnée de ce qu'il y a de meilleur en nous. Je comprends cet homme comme la clé de voûte, l'homme parfait, celui qui nous unit en son empathie universelle, quand nous sommes réduits chacun à une empathie partielle. Ce frère parfait n'a pas besoin d'être fort en maths et en physique, mais d'avoir la capacité de contemplation, parfaite et simple - d'où ont découlé toutes les inventions savantes, passées et futures - bien avant qu'elles se manifestent en formalismes abstraits ou en mécanismes. Ce frère parfait n'a pas besoin d'être peintre, musicien ou architecte, mais de contenir lui-même, les émotions vraies cachées au fond des œuvres sincères. Surtout cet homme n'a pas besoin d'avoir connu toutes les situations modestes et contingentes, toutes les formes de joie et de souffrances des plus humbles piétons de l'humanité, pour comprendre parfaitement la révélation de réel natif qu'elles supposent, et regretter leur fuite.  Mais je crains maintenant de me répéter, j'ai dit ce que j'avais à dire dans mes aphorismes 17 à 21.

Q. Je les ai lus mais je reste sur ma faim. Refusez-vous tout jugement sur les qualités du Dieu chrétien ? Créateur, infiniment bon, tout-puissant…

JNC. Dieu est une action de création, et pas créateur, parce que ce dernier mot suppose la réalité triviale de ce qui est créé. Et l'admiration que peut provoquer cette action dépasse infiniment celle que peut provoquer en nous la vision de l'univers objectif, car à cette création, correspond une contemplation réciproque offerte à l'humanité entière, définitivement insondable par notre modeste personne. Quant aux qualificatifs de bonté et de puissance, ils ne sont adaptés qu'à des hommes. Les appliquer à Dieu ne peut conduire qu'à des déceptions et des paradoxes. Je puis m'autoriser un qualificatif seulement quand il propose une réponse humaine à une interrogation humaine. Et voici cette question : "Y a-t-il quelque chose après la mort ?" Je reprends mon aphorismes numéro 22 : "Chaque sujet-né, soumis au temps (donc mortel) est la dégradation d'un sujet en train de naître, contenant du temps (éternel). Croire qu'un humain a le sentiment de "retourner" à ces moments de naissance quand il est libéré des apparences (quand il meurt) est une espérance raisonnable."  Si celle-ci se confirme, alors ce retour aux sources, est la bonne nouvelle par excellence, qui dépasse tous les discours formels, puisque ceux-ci restent confinés dans le temps, quand il s'agirait ici d'évoquer un rapport entre le temps et l'atemporalité. Les qualificatifs qu'il faudrait inventer, laissent "bonté", "puissance", à un niveau utilitaire dérisoire, et  l'idée de les attribuer à une personne est tout aussi dérisoire, de la même façon qu'un enfant inondé de soleil reste ignorant du soleil. Le seul énoncé que je peux me permettre alors pour qualifier Dieu, parce qu'en fait il se rapporte à nous, les hommes, c'est de dire que c'est un Dieu de résurrection. On retrouve l'inscription courante de nos églises : "Je suis la résurrection et la vie". Notez d'ailleurs l'ordre de ces deux mots.

Q. Mais enfin, vous-même, croyez-vous à cette résurrection ?

JNC. La croyance s'espère, et se prouve seulement  quand il faut agir au péril de sa vie, ou quand on est au pied du mur, au soir de la vie. Affirmer, ou même nier sa propre foi, est assez prétentieux. Mais on peut la constater de façon certaine chez ceux qui ont sauté leur propre mur. Selon ce critère il est certain que les premiers apôtres ont cru. Ils ont cru que le Christ vivait lui-même cette correspondance prodigieuse, et qu'il nous la promettait.

Q. Ne trouvez-pas difficile de concilier ce genre de merveilleux, les miracles, les apparitions, avec notre univers rationnel ?

JNC. À tant que supposer le prodige de la résurrection, pourquoi brider notre imagination ? J'ai déjà utilisé cette image selon laquelle la science cherche à prendre sur le monde une vue abstraite de profil, tandis que dans la vue courante notre regard s'écarte du profil plat pour participer un peu à la vision de face. Et c'est cet angle d'écart, plus ou moins prononcé au fil des instants, qui nous donne accès à la conscience des choses. Pourquoi ne pas utiliser, pour évoquer l'autre coté du miroir, une image symétrique ? De même que la vue strictement de profil est interdite pour le plus grand des savants, mortel, la vue strictement de face donnant accès au réel natif absolu serait interdite, même pour le plus grand des poètes immortels. Réservée à Dieu, se regardant lui-même dans le tréfonds, elle serait trop lumineuse pour conserver la face objective du réel natif, et pour évoquer quoi que ce soit pour nous. L'excès de lumière tue l'ombre et détruit toute forme. Tandis que les points de vue, écartés de cet axe trop parfait, impliqueraient nos images éternelles, dans une objectivité fugitive  du monde, plus ou moins prononcée selon l'angle d'écart avec la vue de face. Il y aurait symétrie entre le Marcel Proust de 1900 obligé de faire effort, pour relâcher ses perceptions matérielles et pénétrer ainsi dans la conscience native associée à l'odeur d'une madeleine humectée de thé, et Marcel Proust immortel qui aurait besoin au contraire de faire un effort de "condensation" ou de "réalisme" pour retrouver l'image objective d'une madeleine, située au fond de la réalité native atemporelle à laquelle elle lui fit accéder, pour toujours, un soir d'hiver…

Q. Je me permets de vous interrompre : En somme, la vue exactement de trois-quarts, à quarante cinq degrés, est dans le plan du miroir séparant les deux domaines, symétriquement, le domaine des hommes mortels et celui des hommes ressuscités.

JNC. Vous poussez l'image à un degré de réalisme qui me devient pesant. Promettez-moi de l'oublier un peu dès que j'aurai fini d'en user. Aussi je termine : à tant qu'admettre le prodige de la résurrection, pourquoi ne pas imaginer une interférence possible entre ces deux genres d'écarts, le premier se détachant de la direction de profil, le second se détachant de la direction de face ? Et des phénomènes exceptionnels, dits "surnaturels", seraient la manifestation de cet empiètement, une humble bergère pouvant alors avoir une sorte  de rencontre avec une humble palestinienne d'il y a deux mille ans.

Q. Soit, je retiens l'idée en oubliant cette bissectrice. Espérons que nous aurons le loisir de mieux préciser en quoi consiste cette vue de trois quarts, quand tous les deux, nous aurons permuté notre direction d'attraction principale.

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