Aphorismes

  1. La réalité du monde ne se déduit pas de son apparence. En droit, l’apparence du monde se déduit de sa réalité, mais en fait c'est un programme de travail inépuisable.
 
2. Chercher la réalité du monde derrière son apparence, c'est le travail de la science et c'est son échec ; parce que la science utilise un état de notre logique alors que la réalité s'insère dans les progrès de notre logique. Ceci est valable pour la physique autant que pour la biologie.

 
3. Déduire l'apparence du monde de sa réalité, c'est conduire une réflexion sur les raisons qui font buter la science, mais découvrir aussi comment ces obstacles impliquent la forme que prend celle-ci.

 
4. Il n’y a rien d’autre que le monde, mais nous le voyons à l’envers.

 
5. Tout faisant partie du monde, nul ne peut le regarder de l’extérieur. Nous le regardons de l’intérieur, c’est pourquoi nous le voyons à l'envers.

 
6. Le monde ne peut être connu que par les découpures qui sont faites en lui. Une découpure est un sujet qui se sépare d’un objet. La séparation (l'acte de séparation) est la seule réalité (hors du temps).

 
7. Le monde est tout ce qui se passe. Ce n’est pas une accumulation de matière. D’ailleurs la matière est quelque chose qui se passe, à la fois en elle-même et en nous.

 
8. Le fait que quelque chose se passe contient du temps et de l’espace. Nous ajoutons que ce fait est aussi dans le temps et dans l’espace. Mais c’est parce que nous l’avons isolé comme une chose alors que c’est un fait inséparable du monde, dont nous n'avons pas su goûter le suc.

 
9. Puisque nous sommes condamnés à voir les choses se passer dans le temps, nous sommes conduits aussi à dire que la réalité du monde est dans son évolution, pas dans ce qui s'y répète. Ce mot d'évolution a un sens darwinien, quand nous considérons le monde objectif ; un sens psychique, quand nous considérons le monde subjectif.

 
10. Une essence est cachée au sein de nos impressions courantes, le réel natif ; pur comme un métal natif, un diamant caché dans sa gangue. Mais nous ne pouvons que l'éprouver ; nous ne pouvons pas nous mettre à distance pour en parler objectivement, car notre conscience d'observateur ordinaire, est une dégradation de ce moment essentiel. On ne peut à la fois être soumis à un maître et le soumettre à ses vues.

 
11. 
Le réel natif, est l'association objet-sujet en train de naître, au moment où ils se dissocient, avant qu'ils ne soient dissociés.
 
12. Nous voyons le monde structuré parce que notre cerveau est structuré. Notre cerveau se structure parce que le monde est structuré. Ce n'est pas un cercle vicieux mais une spirale vertueuse, parcourue individuellement par l'enfant qui grandit, et collectivement par l'humanité, qui découvre et s'éduque mutuellement.

 
13. Dans la réalité native, 
la conscience suscite l'objet autant que l'inverse. C'est pourquoi nous devons tendre à confondre les deux notions de contemplation et d'invention, si nous voulons en comprendre la signification profonde. Du paysage ou du peintre, qui invente l'autre ?
 
14. 
L'apparence des objets ordinaires et la conscience qu'ils provoquent, indissolublement liées, sont d'un coté le déchet (ou la condensation, la solidification), de l'autre coté sont la dégradation du moment de réel natif, où ils ne étaient pas séparés mais en cours de séparation.
 
15. Voir les objets comme morts, séparés des sujets, en oubliant leur source commune, est la faute qui fait buter la science. Elle fait buter la physique quantique, elle fait buter la biologie. Tout objet est potentiellement sujet. Cela ne se voit pas beaucoup si l'objet est un désert rocailleux, cela saute aux yeux de l'amoureux qui regarde son épouse.

 
16. La condensation du réel natif vers des objets scientifiquement observables, tend à être universelle, parce que sa source, le réel natif, est universelle.

 
17. La réalité-native cachée au fond de nos impressions est secrétée dans des circonstances personnelles et locales, mais celles-ci sont des apparences qui ne sont que la dégradation de réalités-natives antécédentes. Les réels natifs partiels s'unissent au bout de cette récursivité dans un réel natif général où il n'est plus question de distinguer des individus et des objets antagonistes. C'est pourquoi il est universel. On parle ici par évocation imagée, le réel natif échappe au discours logique.

 
18. La réalité native de deux sujets se contemplant (ou s'inventant) l'un l'autre suppose une fusion empathique. "A" est un sujet regardant l'objet "B" comme un sujet regardant "A" comme un objet-sujet réciproque. Comme toute réalité native, une telle fusion empathique est au mieux le suc fugace des sentiments ordinaires.

 
19. 
La fusion empathique des deux sujets A et B, est seulement la circonstance particulière d'une réalité native empathique universelle, unissant le versant subjectif du monde.
 
20. Pourquoi ne pas appeler Dieu le monde vu de face ? A condition de ne rien dire de plus ; peut-être à la rigueur qu'il est "création", au sens acte de création, certainement pas créateur (de quelque chose).

 
21. Pourquoi ne pas appeler Dieu le Fils le versant regardant du monde vrai, du monde-naissant ? Et cette fois on a le droit d'en chercher une représentation humaine, capable d'une empathie universelle.

 
22. 
Chaque sujet-né, soumis au temps (donc mortel) est la dégradation d'un sujet en train de naître, contenant du temps (éternel). Croire qu'un humain a le sentiment de "retourner" à ces moments de naissance quand il est libéré des apparences (quand il meurt) est une espérance raisonnable. Mais il est insensé de se demander si c'est plutôt le sujet-naissant qui dérive de la personne mortelle que l'inverse.
 
23. Se demander pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien est une pure gesticulation verbale. Aucune pensée ne peut se loger derrière. Ce serait se voir sujet sans objet.