vendredi 21 janvier 2011

4. Wittgenstein

Q. Vous avez dit la dernière fois que le monde est "tout ce qui se passe". N'est-ce pas la première proposition de Wittgenstein dans son Tractatus logico-philosophicus ?

JNC. Plus exactement, dans mon édition, je lis : "Le monde est tout ce qui arrive". Je n'aime pas beaucoup cette traduction parce que les trains aussi arrivent, et souvent en retard. Or ce qui se passe ne peut être ni en retard ni en avance, car ce qui se passe n'est pas dans le temps, au contraire c'est le temps qui est dans ce qui se passe ; de même que le mouvement n'est pas dans le temps, mais contient du temps, comme le dit Bergson.

Q. Que puis-je comprendre encore dans ce livre ?

JNC. J'y vois surtout un effort intense et désespéré, comme celui de Russel, pour tresser brin par brin la corde qu'utilisera Gödel pour les étrangler savamment. Ils cherchent à voir le monde de profil, produit d'une logique impeccable où toute subjectivité s'effacerait, alors que vu de profil, toute lumière s'éteint (voir l'onglet réel natif).
 En fait tout serait dit dans la première proposition si on lisait, tout de suite après, que rien ne peut se passer dans le monde sans que s'en passe en nous la conscience réciproque. Mais cela ne vient pas. Il faut attendre la proposition 5.621 pour voir apparaître : "Le monde et la vie sont un". On reprend espoir, pas pour longtemps car un peu plus loin, en 5.632, on lit : "Le sujet n'appartient pas au monde mais il constitue une limite du monde". Ça ne colle plus. Si on rapproche les deux propositions, on voit que le sujet ne serait qu'une limite de la vie et du monde. C'est une image qui ne me convient pas, ne laissant au sujet qu'un rôle de frontière extérieure, d'ailleurs séparant de quoi ? Mais convient-elle vraiment à Wittgenstein quand, ailleurs, il se pose la question :  "Ma main est-elle un objet?", qui suggère d'entremêler le sujet et l'objet, et me convient bien mieux.

Q. Faisant pendant à sa première proposition, sa dernière est célèbre :  "Ce dont on ne peut parler il faut le taire". Est-ce mieux qu'un appel à fuir le bavardage ?

JNC. Je préfère une interprétation profonde. Car il ne faut pas oublier l'avant-dernière proposition qui la prépare : "Mes propositions sont élucidantes à partir de ce fait que celui qui me comprend les reconnaît à la fin pour des non-sens, si, passant par elles,- sur elles – par-dessus elles, il est monté pour en sortir. Il faut qu'il surmonte ces propositions ; alors il acquiert une juste vision du monde".   Caché derrière l'obscurité de ce langage paradoxal, serait-ce un éclair de divination (il écrit avant Gödel) que la pure logique qu'il essaie de mettre en place est un non-sens, la vue sur un théâtre vide et obscur ?  Je la prends dans le même sens que l'idée (voir l'onglet évolution) qu'il ne faut pas chercher à décrire le tréfonds d'où émerge le réel natif. En prenant un langage religieux, ne parlons pas de Dieu autrement que dans sa manifestation, à savoir le monde regardé couplé à l'humanité regardante. La vue de face est interdite pour nous autrement que dans des vues fugitives dont seul l'art peut rendre compte.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire