mercredi 19 janvier 2011

3. Proust

Q. Vous liez Bergson à Proust. A quelle occasion ?
 
JNC. A propos de l'accès au passé, autrement dit du souvenir affectif, opposé, si l'on veut fixer le vocabulaire, à la mémoire machinale. Bergson nous dit que le passé est toujours à disposition de notre esprit, mais que le cerveau, organe dédié à la vie pratique, lui fait le plus souvent barrage. Et qui plus est, les efforts que nous faisons pour tenter de franchir ce barrage mettent précisément en action les circuits cérébraux qui le rendent plus infranchissable.

Q. Je sens très bien cela quand j'essaie de me souvenir de mes rêves ; ce sont  précisément mes efforts qui les font fuir. Cela me rappelle une image de Douglas Hofstadter : le souvenir est comme un crayon enfoncé entre deux coussins d'un canapé ; plus on écarte les coussins pour attraper le crayon, plus il s'enfonce.

JNC.  Exactement. Proust décrit cela de façon beaucoup plus complète et délicate. Il tente d'ouvrir des portes pour accéder au souvenir, et soudain c'est la seule porte à laquelle il n'a pas frappé qui s'ouvre toute seule. C'est qu'en tentant d'ouvrir des portes, on fait travailler sa machine cérébrale, celle qui réceptionne, manipule, envoie des signaux, reste enfermée dans sa logique. On privilégie ce faisant la mémoire automatique, pas la conscience, qui suppose la sortie de la logique (voir la page intelligence naturelle).

Q. Il n'y a donc rien à dire à propos du souvenir, ça se fait tout seul ?

JNC. Ce qu'il y a de réel dans le passé rejoint ce qu'il y a réel dans le présent, pour cette bonne raison que le réel est intemporel. La réalité du monde est tout ce qui se passe, en lui-même et en nous, pas tout ce qui passe. Je vous parle bien entendu du réel natif, celui qui unit le sujet à l'objet dans l'acte de séparation, avant toute séparation effective.

Q. Mais vous faites allusion à une réalité bien noble, sublime, alors qu'on se souvient d'événements triviaux.

JNC. Oui mais ils ont un suc, auxquels nous n'accédons que de façon fugitive, aussi bien dans le présent que dans le souvenir. Cette indifférence du suc au temps, suc extrait du présent comme du passé, est très bien décrite par Proust, dans sa contemplation de trois arbres au bord de la route d'Hudimesnil.

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